À Bruxelles, le PS à tous les étages… et pour longtemps !
Ejectable ou non de la majorité à Bruxelles, le PS a eu le temps de placer des camarades aux fonctions dirigeantes de la plupart des opérateurs publics. Une mainmise renforcée par la création d’une multitude de nouveaux organismes pararégionaux.
Des agents des services publics bruxellois nous confirment ce que dénoncent, depuis des mois, des voix dans l’opposition et des associations qui luttent pour plus de transparence dans la sphère publique : jamais la politisation des fonctions de direction dans l’administration et les nombreuses entités parapubliques n’a atteint de tels sommets. La » révolution de la gouvernance » promise en 2014 par la nouvelle majorité n’a pas freiné le Parti socialiste bruxellois dans sa politique de mainmise sur les leviers sociaux, économiques et culturels de la Région, plaçant des camarades aux postes stratégiques.
Cette politisation touche même les rangs administratifs intermédiaires, du niveau » expert » à celui de » directeur « , fonctionnaires eux aussi souvent issus des cabinets ministériels. » Côté francophone, la plupart d’entre eux sont socialistes, alors que l’éventail politique est plus diversifié chez les néerlandophones, constate une source interne. De plus, à la différence des directeurs des niveaux supérieurs, désignés pour un mandat de cinq ans après lequel ils peuvent être révoqués, ces fonctionnaires de rang intermédiaire sont nommés à vie. Cela signifie que bon nombre d’entre eux, quasi tous des trentenaires lors de leur nomination, seront toujours en place dans vingt ou trente ans, même au cas où le PS serait dans l’opposition. Si le PS est éjecté du gouvernement, le fossé entre cabinets et administrations truffées de socialistes s’élargira. Le dialogue sera rompu : un ministre MR, DéFI, CDH ou Ecolo aura tendance à ne pas suivre les recommandations d’un directeur général socialiste. »
Mise en coupe réglée
Au sommet de la pyramide administrative, le dernier parachutage en date illustre une fois de plus le phénomène de mainmise : Bety Waknine (PS), ex-directrice de cabinet adjointe du ministre-président Rudi Vervoort, a été promue, le 18 avril, directrice générale de Bruxelles Urbanisme et Patrimoine (BUP), une nouvelle administration détachée du Service public régional. » Avant même le terme du processus de sélection, auquel ont participé 5 ou 6 candidats issus du cabinet Vervoort ou de l’administration, il se murmurait que Bety Waknine, qui cumule déjà plusieurs mandats dans des organismes publics bruxellois, serait l’heureuse élue, confie un fonctionnaire. Pourtant, elle ne figurait pas en tête du classement des candidats et n’avait pas d’expérience de management, ce qui pose question quand le job vous destine à diriger 250 personnes. » Pour le Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative (Gerfa), cette désignation » semble anticiper une mise en coupe réglée partisane « .
Le » saucissonnage » en cours du Service public régional de Bruxelles et la création de nouvelles structures externes suscitent un profond malaise au sein de la fonction publique bruxelloise : les départs et burnout d’agents ont accentué la démotivation d’autres fonctionnaires, inquiets du sort qui leur sera réservé dans les restructurations en cours. La réorganisation, qui touche aussi les secteurs de la fiscalité, de la fonction publique et de l’Invest&Export, est jugée coûteuse et inutile (voir l’enquête du Vif/l’Express du 31 mars dernier). Elle viserait surtout, estiment nos sources, à caser des cabinettards. Ainsi, il a été décidé de pouvoir » diverger des modalités de recrutement des membres de personnel pendant une période de six mois « , » afin de garantir le bon fonctionnement du SPRB Fiscalité « . Pour la députée Zoé Genot, cheffe de groupe Ecolo au parlement bruxellois, cette mesure est une » autorisation de politiser un maximum pendant six mois « .
Vervoort aux manettes
Rudi Vervoort est aux commandes de la réforme, en duo avec Guy Vanhengel, ministre Open VLD en charge des Finances et du Budget. Ces deux poids lourds du gouvernement bruxellois pèsent depuis longtemps sur les nominations aux principales fonctions de l’administration. Ainsi, Bruxelles Fiscalité et Bruxelles Logement ont à leur tête des directeurs généraux Open VLD, Dirk De Smedt et Arlette Verkruyssen, tandis que les chefs des autres départements sont presque tous issus du sérail socialiste : Julie Fiszman, directrice générale de Bruxelles Finances et Budget, est une ancienne députée PS ; Jean-Paul Gailly, lui aussi étiqueté PS, dirige Bruxelles Mobilité, l’une des plus grosses administrations régionales, aujourd’hui en crise ; Rochdi Khabazi, nouveau DG de Bruxelles Pouvoirs locaux, est un ancien attaché aux cabinets des ministres- présidents PS Charles Picqué et Rudi Vervoort…
De même, l’agence Bruxelles-Propreté, qui compte 600 agents, a à sa tête Vincent Jumeau, un ancien collaborateur du député-bourgmestre PS de Saint-Josse Emir Kir quand ce dernier était secrétaire d’Etat bruxellois en charge de la Propreté publique. Si Parking.brussels est dirigée par le SP.A Eric Dubois, la présidence de cette nouvelle agence régionale pour le stationnement a été offerte au Schaerbeekois Jean-Pierre Van Gorp, passé en 2006 du FDF au PS. Certes, Visit.brussels, l’organisme qui assure la promotion de la capitale auprès des touristes et des organisateurs de congrès, a à sa tête un directeur sans étiquette, Patrick Bontinck, mais il est sous la tutelle de Laurette Onkelinx, présidente du CA. » De plus, au poste clé de directeur des événements, on trouve un autre socialiste, Micha Kapetanovic, ancien du cabinet du ministre-président Picqué « , note un organisateur de salons.
Bastions socialistes
Autre bastion du PS : Homegrade.brussels, qui regroupe, depuis mars, l’asbl Centre urbain – présidée jusqu’il y a peu par Bety Waknine – et le guichet d’information Maison de l’énergie. Fabrice Cumps, échevin PS à Anderlecht, est l’administrateur délégué et le vice-président de la Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), l’organisme pararégional de type B chargé du logement social. Pour sa part, Serge Vilain, ancien chef de cabinet de Philippe Moureaux (PS), est président du comité de direction de la SA de droit public Finance.brussels, ex-Société régionale d’investissement (SRIB), avec un salaire de près de 300 000 euros brut par an. Mohammed Jabour, lui, peut arrondir son salaire d’échevin socialiste de Saint-Josse-ten-Noode avec son mandat de président du Port de Bruxelles.
Avec ses 25 % obtenus aux dernières élections régionales (2014), le PS exerce ainsi une mainmise quasi totale sur les structures régionales et pararégionales et ne laisse que les miettes aux autres partis de la coalition (DéFI, CDH, Open VLD, CD&V, SP.A). Si Bruxelles Environnement (plus de 600 fonctionnaires) a pour directeur général Frédéric Fontaine, ancien chef cab’ de la ministre Ecolo de l’Environnement Evelyne Huytebroeck, cette nomination remonte à l’époque où les verts faisaient encore partie de l’attelage gouvernemental bruxellois. Même le patron de la Stib, Brieuc de Meeûs, sans étiquette politique, n’échappe pas à la tutelle socialiste : Yonnec Polet, secrétaire fédéral de la fédération bruxelloise du PS, a été placé en septembre dernier à la vice-présidence du conseil d’administration de la société des transports publics bruxellois (mandat rémunéré). Mission assignée à ce proche de Laurette Onkelinx : marteler le discours socialiste en matière de mobilité dans la capitale et faire avancer les projets chers au parti, comme l’extension du métro lourd vers le nord.
Quelques remous…
D’autres exemples montrent à quel point le placement politique est devenu un véritable sport socialiste : en juillet 2013, l’ex-députée PS Olivia P’tito a pris la direction générale de Bruxelles Formation, l’organisme public chargé de la formation professionnelle francophone en Région bruxelloise. Malgré le confortable salaire qu’elle reçoit pour cette fonction et le caractère volontaire de sa réorientation professionnelle, la Molenbeekoise a réclamé ses indemnités de sortie en tant que députée depuis 2004. Soit, la bagatelle de 150 000 euros brut environ, divisés en mensualités. Son attitude avait relancé le débat sur les parachutes dorés accordés aux parlementaires, même en cas de départ volontaire.
La nomination, en 2011, de Grégor Chapelle, ex-échevin PS de Forest, à la tête d’Actiris, l’Office régional de l’emploi, a elle aussi provoqué des remous. En janvier 2012, le CDH a obtenu, en contrepartie, le poste de secrétaire général de l’administration bruxelloise, détenu jusque-là par un socialiste. Mais le candidat choisi, Christian Lamouline, ancien chef du ministre CDH Benoît Cerexhe, voit aujourd’hui son département, Bruxelles Coordination régionale (la logistique de l’administration, soit 400 agents), largement démantelé, avec la création de trois nouvelles directions générales (international, informatique, RH) qui échappent à son autorité directe. Christian Lamouline ne conserve cette autorité que sur quelques dizaines d’agents des services juridiques, qualité et communication.
Mainmise PS sur les OIP
Des socialistes francophones ont également été placés à la tête des nouveaux organismes d’intérêt public (OIP) créés afin de court-circuiter l’administration bruxelloise. Jamil Araoud, ex-conseiller au cabinet Vervoort, est, depuis avril 2016, aux commandes de Bruxelles Prévention et Sécurité (BPS), un centre régional de crise mis en place face à la menace terroriste. Gilles Delforge, ex-chef de cabinet de l’ancien bourgmestre PS de Bruxelles Freddy Thielemans, pilote la Société d’aménagement urbain (SAU), chargée de valoriser notamment les sites Josaphat à Schaerbeek, Delta à Auderghem et l’hippodrome de Boitsfort. Christophe Soil, chef de cabinet adjoint de Laurette Onkelinx lorsqu’elle était ministre de la Santé, dirige Perspective.brussels, le bureau bruxellois de planification.
Ce gros bidule créé en 2015 compte six directeurs et une centaine d’agents. Il englobe notamment l’ex-Agence de développement territorial (ADT), une asbl créée sept ans plus tôt en remplacement d’un service administratif et considérée à l’époque comme un » fief socialiste « . Organisme d’intérêt public de type A, Perspective.brussels dépend directement du ministre-président Vervoort, alors que la gestion d’un organisme de type B aurait été placée sous la tutelle de tous les ministres bruxellois compétents.
L’urbanisme sous contrôle
Toutes ces entités ont l’avantage de ne pas devoir se plier aux règles imposées aux administrations en matière de marchés publics, d’exigence du bilinguisme lors d’un recrutement… Elles facilitent aussi la pratique du copinage politique. » Que faut-il comprendre ? s’interroge la députée Ecolo Zoé Genot. Les ministres socialistes et Open VLD souhaitent avoir des agences entièrement à leur botte ? Un OIP, c’est plus d’indépendance, la soumission à un seul ministre, un contrôle parlementaire beaucoup plus difficile, de nombreux postes à pourvoir de directeur, de commissaire de gouvernement, de président de conseil d’administration… Quoi qu’il arrive, que le PS soit dans la majorité ou dans l’opposition, il a dans ses mains tous les outils de contrôle du foncier, de l’aménagement du territoire, des nouvelles zones urbaines, de l’urbanisme. Politiquement, c’est juste énorme ! »
Depuis 2013, la société de droit public Citydev (ex-SDRB), responsable du développement urbain bruxellois, a à sa tête Benjamin Cadranel, ex-directeur de cabinet de Charles Picqué du temps où ce dernier était ministre-président. Conseiller communal PS à Uccle, Benjamin Cadranel a aussi été, en 2003 et 2004, expert au cabinet de l’ex-vice-Première Laurette Onkelinx. » Conséquence de la mainmise socialiste sur Citydev, Perspective.brussels, la Société d’aménagement urbain et d’autres organismes publics régionaux de ce type : les entrepreneurs, ingénieurs, architectes, graphistes et autres bureaux d’experts choisis pour des marchés publics sont toujours les mêmes, glisse un chef d’entreprise. Ce sont les »petits copains » de camarades du PS. Les autres fournisseurs de services ne répondent même plus aux appels d’offres, car ils savent à l’avance n’avoir aucune chance d’être sélectionnés. »
Neo, musée Citroën, Vivaqua
Toujours dans le domaine du développement urbain, les hommes du PS sont aux commandes du réaménagement du plateau du Heysel. Henri Dineur, lui aussi ancien chef de cabinet de Charles Picqué, préside le conseil d’administration de la SCRL Neo, qui gère ce projet de grande ampleur pour la Région et la Ville de Bruxelles. Sont prévus sur le site, à l’horizon 2022, le mégacentre commercial Mall of Europe, des logements, des crèches, des bureaux et des espaces de loisirs. Parmi les administrateurs de la société Neo figurent Philippe Close, le nouveau bourgmestre PS de Bruxelles, et le socialiste Gilles Delforge, directeur de la SAU. Son frère, Denis Delforge, lui aussi proche de Close, est le CEO de Brussels Expo, le groupe gestionnaire des salles de spectacle Palais 12, Cirque royal et La Madeleine.
Un autre grand » pôle culturel » bruxellois, encore virtuel, est géré par les socialistes : le musée d’art moderne et contemporain soutenu par le Centre Pompidou (15 000 mètres carrés) et le centre international d’architecture (10 000 mètres carrés). Les deux projets devraient voir le jour à l’horizon 2020 dans l’ancien garage Citroën, le bâtiment emblématique de la place de l’Yser, acquis par la SAU. En septembre dernier, Yves Goldstein, ex-chef de cabinet du ministre-président Rudi Vervoort et proche de Laurette Onkelinx, est devenu, sans procédure de désignation, le responsable du futur musée.
La nomination de la socialiste Laurence Bovy à la direction de Vivaqua, en décembre dernier, a fait couler plus… d’encre. Et pour cause : le cabinet de chasseurs de têtes Egon Zehnder, mandaté pour recruter le patron de l’intercommunale bruxelloise de distribution d’eau (entreprise publique aujourd’hui au coeur d’une polémique sur les » rémunérations excessives » accordées aux membres de son conseil de gérance, dont l’ex-bourgmestre de Bruxelles-Ville Yvan Mayeur) avait classé à la troisième place sur trois candidats l’ex-directrice de cabinet de l’ancienne vice-Première Laurette Onkelinx. Certains se sont alors demandé si débourser la bagatelle de 50 000 euros pour s’offrir les services d’un chasseur de têtes avait un sens, puisqu’il n’a pas été tenu compte de ses conclusions. Ejecté ou pas de la majorité à Bruxelles, le PS est à la manoeuvre à tous les étages… et pour longtemps !
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