15 mars 1982 : comment Albert Frère s’empara du Groupe Bruxelles Lambert
Le baron Léon Lambert a un problème. Au début des années 1970, ce génial homme d’affaires a été l’artisan de l’union entre le groupe de Launoit et la Compagnie Lambert. Depuis, il se trouve à la tête du Groupe Bruxelles Lambert (GBL), un holding puissant qui détient plus de 200 participations dans des secteurs aussi variés que la banque, l’assurance et la sidérurgie.
Mais Lambert a bel et bien un problème : pour financer le développement de son groupe, il a contracté d’importants emprunts en francs suisses. Or, le cours de cette devise est en train de s’envoler. En même temps que la dette de GBL. De l’argent frais est nécessaire. Lambert n’a pas le choix : il doit demander de l’aide.
Une reprise ? Lambert préférerait un partenariat. Différentes pistes sont envisagées. En Belgique, la Sofina est approchée. Mais Yves Boël, son grand patron, ne se montre pas intéressé. Lambert regarde aussi à l’étranger. Il se tourne vers les Etats-Unis, le Canada, la France. A Paris, il mène des discussions approfondies avec Paribas. Mais celles-ci s’interrompent dès que la Compagnie financière de Paris et des Pays-Bas se fait nationaliser par l’Etat français.
Une autre piste se profile. Un industriel carolorégien vient de gagner une fortune en vendant (chèrement ! ) à l’Etat belge ses participations (déficitaires ! ) dans la sidérurgie. En quête d’opportunités en même temps que d’une honorabilité, Albert Frère flaire la bonne affaire. Après avoir réuni quelques investisseurs autour de lui, il fait acte de candidature. Jouant bellement la carte de l’ancrage belge, il obtient le soutien du gouvernement et de la Commission bancaire. Le 15 mars 1982, l’assemblée générale de GBL entérine l’arrivée des nouveaux actionnaires. Par la grande porte, Frère entre dans les majestueux bureaux de l’avenue Marnix.
Frère n’était pas le premier choix de Lambert. Dès le départ, le baron a redouté l’arrivée de cet ambitieux businessman. Il faut dire que ni par leurs origines, ni par leurs personnalités, ni par leurs visions, les deux hommes ne sont faits pour s’entendre. Et pourtant, dans un premier temps, les formes sont respectées. Lambert demeure ainsi président du conseil d’administration. Avec Frère, il ne manque pas de coopérer, n’hésitant guère à lui ouvrir son carnet d’adresses. Mais le nouveau venu n’est pas du genre à partager le pouvoir. Progressivement, Frère place ses hommes et gagne du terrain.
Après avoir mimé la bonne entente, Frère laisse tomber le baron. Pire : il va lui rendre la vie impossible. Quand Lambert a besoin de se déplacer, il n’y a mystérieusement plus aucun chauffeur disponible. Lorsqu’il souhaite se rendre à son bureau du 7e étage, son ascenseur personnel » décide » étrangement de ne plus s’y arrêter. Quand il veut passer un coup de fil, toutes les lignes sont subitement dérangées. Lambert comprend le message : en 1987, il démissionne du conseil. La même année, atteint par la maladie, il meurt à l’âge de 58 ans. Laissant le champ libre à son allié devenu rival.
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